On avait découvert Get Open, l’année dernière à Paris au cours d’un showcase sauvage et bouillant avec le légendaire beatmaker Imhotep de IAM (Marseille) au Bar Commun. le groupe New-Yorkais prépare désormais la sortie de leur nouvel album, « Front & Center » prévue en Octobre 2020. Ils ravivent la flamme du style Boom Bap conscient de la côte est, motivé par l’effet Trump.

Vous sortez votre 3ème album « Front & Center » dans un contexte intéressant, pourquoi avez-vous choisi de le sortir cette année?
Kiambu: ” Front & Center” signifie que nous sommes prêts à élever la voix pour défendre nos valeurs. Get Open pour le devoir de la vérité.
Le problème, c’est que la perspective a été perdue et que très peu de gens veulent parler de politique. J’ai vu quelques rappeurs se positionner, comme si cela avait quelque chose à voir avec Black Lives Matter alors qu’honnêtement presque chaque personne noire que je connais a été affectée négativement par la police dans ce pays. Non, ils n’en font pas assez. La plupart des rappeurs font toujours miroiter un style de vie gangster avec un message qui promeut la violence, l’ignorance et un comportement qui vous enverra direct en prison.
Votre première vidéo est la provocante « Tale Of The Tape » réalisée par Nicolas Milteau qui évoque directement la brutalité policière et le mouvement Black Lives Matter, Pourquoi?
Kiambu: Nous sommes très fiers du travail de Nicolas. Nous avons écrit cette chanson il y a deux ans et elle est malheureusement toujours d’actualité. Nicolas a vraiment compris tout ce que nous disions et comment ce moment hystérique sera gravé dans nos mémoires à jamais à cause des images que nous avons été obligés de subir chaque jour. ‘Tale Of The Tape’ est le premier single de notre album.
Siba: Tale of the Tape est une expression utilisée quand les choses sont claires, les choses sont simples, dans votre face… Et c’est ce qui se passe en ce moment sous nos yeux dans le monde.
Kiambu: Malheureusement, beaucoup de gens de gauche veulent considérer que la Race devrait être ignorée et nos différences ne devraient pas être célébrées et qu’il faut soit disant dépasser le racisme. Le problème, c’est que les victimes du racisme ont toujours subi les conséquences alors que les populations blanches en ont toujours bénéficié. Malheureusement, c’est plus compliqué pour les libéraux blancs parce qu’ils ne voient pas qu’ils font partie du problème et il est difficile pour eux d’encaisser cette mauvaise nouvelle alors mêmes que vous vous revendiquez être progressiste. Il vous faudra vous battre pour chaque lambeau d’identité que vous aurez créé pour vous-même. Personne ne veut se rendre compte de son racisme ordinaire, mais honnêtement, si vous ne dénoncez pas le racisme tous les jours, vous en bénéficiez en tant que personne non racisée dans ce pays. Je sais que beaucoup de blancs refusent d’accepter qu’ils bénéficient d’une sorte de white privilège, la seule façon de lutter contre les injustices est de lutter tous les jours contre ce fléau.
Je sais que beaucoup de gens ne croient pas qu’ils bénéficient d’une sorte de privilège, mais ce n’est tout simplement pas vrai et les gens doivent être prêts à accepter qu’ils ont tort et qu’ils ont besoin de faire plus d’effort à lutter contre ce fléau.

Siba: Les jeunes amènent de l’espoir alors qu’ils protestent encore. Regardez la ville de Portland sur la côte ouest. Ca fait 4 mois depuis qu’ils manifestent. Tout a commencé par des émeutes, qui, je ne pense pas personnellement qu’elles soient efficaces, mais après quelques jours, cette manifestation pacifique s’est poursuivie et amplifiée. Les jeunes sentent que c’est le moment à saisir pour mettre en marche le changement. Et il se passe des choses.
Comme les statues des colonialistes, les propriétaires d’esclaves sont déboulonnés. Le drapeau confédéré n’est plus accepté dans les courses de voitures aux États-Unis, les lois dans l’état de New York a changé. La police est maintenant passible de poursuite par le peuple alors qu’avant ils étaient à peu près intouchables.
Donc, certaines choses évoluent, mais vous voyez ce qu’il faut faire pour en arriver là ? Un Afro-Américain a perdu la vie, assassiné par un flic véreux, en direct à la télévision…
Kiambu: Trump critique le mouvement Black Lives Matter : « Vous ne croyez pas en l’Amérique ! Vous voulez remettre en question notre histoire! ” Non, ça a toujours été la même chose. Nous avons écrit ce texte pour parler de cette triste mentalité.
Comment Get Open a-t-il été créé ?
Kiambu: Nous nous sommes rencontrés en partie dans une école d’art de New York en 1992, à l’Université de Purchase, où musiciens, danseurs, acteurs, graffeurs se sont rencontraient. Nous étions jeunes, nous avons fondé un collectif au début des années 90, le Hip Hop explosait à New York, nous étions nombreux et tous connectés à la rue.

Siba: C’était un collectif, quatre rappeurs, deux DJs, un chanteur, d’autres rappeurs venaient, nous avions aussi des musiciens live, j’ai aussi joué de la batterie à occasionnellement.
Kiambu: Nous avions des musiciens, donc nous jouions des morceaux originaux en direct.
D’ou venez-vous?
Von: Je viens du Bronx, et j’ai des origines caribéennes, antiguaise et bermudiennes.
Kiambu: Je viens de Harlem, Uptown, Sugar Hill, 145th Street, mais aussi de partout dans la ville, j’ai grandi à Manhattan, j’ai déménagé dans le Queens, dans le Bronx, nous venons de toute la métropole New Yorkaise.
De: On est cosmopolitains !
Siba: Je suis né à Paris, d’une mère Française et d’un père américain originaire de New York, et je suis arrivé à NYC au milieu des années 80, j’ai découvert le Hip Hop avec ma mère Desdémone Bardin qui enseignait l’anglais à l’Université de Paris 8 à Saint-Denis en utilisant la culture afro-américaine et le hip-hop dans ses classes. Elle a utilisé des textes de rappeurs américains que je transcrivais pour elle. (rires). Je suis arrivé très jeune dans le Lower East Side, qui était loin d’être gentrifié à l’époque. C’était un quartier infesté de drogue, ça m’a beaucoup marqué. Quand Von nous a rejoint à Purchase, c’est devenu sérieux. On délirait sur scène, mais on a commencé à enregistrer sérieusement. À la fin de l’année 1993, le département de musique à l’école produisait un CD de toutes sortes de musique, et c’est ainsi que nous avons enregistré notre premier morceau avec 6 MC.
Vous avez grandi dans un contexte musical?
Von: Oui, mon père jouait dans des groupes avant ma naissance, il avait deux studios, j’y suis allé depuis l’enfance, il jouait du reggae, du funk, du RnB, il jouait de la guitare. J’ai grandi avec le jazz dans mes oreilles aussi, et puis le Hip Hop est venu de la rue. J’ai exploré ma propre zone. J’ai commencé à faire du graffiti et de la danse. Et j’ai joué dans des groupes de rock.
Kiambu:
C’est vrai que nous avons tous traversé ça, j’ai rencontré Siba au lycée, on s’est perdus de vue et on s’est retrouvés à Purchase University. Mon père a étudié dans une école de musique, il a joué de plusieurs instruments, j’ai grandi dans cet environnement à Harlem.
Il jouait de l’afro-jazz, ma sœur aussi, mon environnement c’était les arts mec. Mais le Hip Hop était différent, je continuais d’enregistrer des cassettes de ce qui sortait, RUN DMC etc. tout le temps, apprenant tous ces mots par cœur, je faisais du break dance dans ma chambre. Si vous vouliez le faire, vous pouviez simplement y aller, c’était plus accessible que le jazz par exemple, c’était fresh.
Siba: Le Lycée « Music and Arts » high school était celui du film FAME, la sœur de Kiambu était également là dans la même classe que Slick Rick, Dana Dane et MC Serch du groupe Third Bass! Tous ces gens étaient ensemble, les acteurs, Jennifer Anniston, il y avait aussi un département d’arts visuels, Adrien Brody était dans la classe de Kiambu, nous nous connaissions tous.

Vous avez enregistré votre premier single « Here and now » en 1996?
Siba: Wu Tang Clan est sorti en 1992, 1993, c’était un groupe révolutionnaire, ils vendaient des CD, du vinyle, des mixtapes dans les magasins mais aussi dans la rue. Nous avons découvert tout ça. On s’est dit, qu’est-ce qu’on fait ? Faisons la même chose. Donc, nous avons commencé à faire des concerts, et on s’est dit que nous aussi pouvions enregistrer et sortir de façon indépendante, il nous en coûterait 3000 dollars pour fabriquer nos 1000 premiers exemplaires. Nous avons recueilli de l’argent grâce à nos concerts, et nous avons pressé ce disque en vinyle et cassette single. Notre disque a vraiment circulé sur la côte ouest, c’était la culture des DJ de l’époque qui jouaient principalement des sons underground, J-Rocc des Beat Junkies, DJ Numark (Jurassic Five) et même Mix Master Mike (qui allait pour un temps devenir le DJ des Beasties Boys) jouaient notre disque, la Côte Ouest nous a donné de l’amour.
Vous avez des Noirs et des Blancs dans votre groupe. Aux États-Unis, il est rare de voir des groupes hip-hop multiethniques, c’est plutôt séparé, d’un côté les Beasties Boys, Eminem, House of Pain, Third Bass et d’autre part les collectifs afro-américains, est ce que c’est le sens de votre nom de groupe? Get Open ?
Von: Get Open, ca vient de la fête. (Rires) Ça a commencé avec les filles. Le groupe est né dans cette atmosphère très multiculturelle de SUNY Purchase (1h au nord de New York), nous étions très mélangés, c’est ce qui nous rend uniques. Mes gars, ce sont mes gars ! Nous savions que nous allions être critiqués pour avoir créé ce groupe de rap avec des Blancs, mais la culture hip hop est pour les rebelles. Quand vous êtes Hip Hop, vous devez combattre le système, que vous soyez un noir du ghetto ou un blanc en colère. Le hip hop est une culture, il est ouvert à tous.
Kiambu: Il n’appartient à personne, pas seulement aux Noirs, il y a toujours eu des Portoricains dans le mouvement, toujours.
Von: C’est un mouvement multiculturel depuis le début
Siba: si vous regardez la culture du graffiti, il y avait beaucoup d’artistes de graff blancs dès le début.
Kiambu: Dès le début
Von: La blague est que certains disent que les blancs n’étaient pas là, mais ils étaient là depuis le début! Nous y étions tous, le Hip Hop est inclusif. Nous étions tous dans la même maison (rires) Le gars qui toyait le plus dans le Bronx était blanc (rires) il faisait flipper tout le monde ce con (rires)
Kiambu: Il est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas beaucoup de groupes multiethniques à New York, il y en avait peu.
Von: Mais il y avait tout l’engouement du «Lyricist Lounge» en la ville, tout le monde voulait rapper.
Quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Von: Notre référence absolue était Wu Tang, parce qu’ils ont commencé en indé. Avant, c’était un rêve impossible de signer directement en maison de disque, tout le monde pensait « Yo! Nous pouvons le faire nous-mêmes sans attendre personne !
Siba: Nous sommes très sensibles aux paroles, donc les MC comme Melle Mel, Rakim, KRS One, Big Daddy Kane, Public Enemy, mais la plus grande influence a été l’humeur de la langue autochtone: Jungle Brothers, A Tribe Called Quest, De La Soul, Beatnuts, mais aussi Dr Dre & Death Row, Devin The Dude, Kool Keith & Ultramagnetic MCs ..
Kiambu: Pour nous, le message est important. Et même si nous aimons délirer, faire la fête, ça doit toujours être intelligent.
Siba: nous avons commencé à faire les premières parties des Jungle Brothers, KRS One, De La Soul, Special Ed, Dead Prez, The Alkohaliks et bien d’autres.
Après une longue pause, vous êtes revenus avec un album mixtape « Black Book » en 2013, un deuxième album « The Week-End » en 2014, puis un autre Mixtape « IAM Open » en 2016. Et maintenant vous préparez votre troisième album ?
Von: Oui, le prochain album est vraiment politique. C’est l’obsession de tout le monde ici. On en parle tout le temps. La musique reflète le mood et le mood en ce moment est lié à ce qui se passe en Amérique aujourd’hui. Il est donc naturel d’intégrer ces questions dans notre musique. Même si le concept original du groupe est de s’amuser, il est maintenant temps de réfléchir à la situation politique dans notre pays.
Siba: Get Open, c’est s’ouvrir l’esprit, ouvrir votre espace, à une nouvelle culture, pour créer ou découvrir.

Vous avez donc aussi tourné une autre belle vidéo « Where I’m From » avec le réalisateur de Pascal Tessaud?
Von:
C’était ma meilleure expérience de tournage. C’était super sérieux, on a tourné dans le South Bronx, tout dans les détails. Damn! Je n’étais pas préparé mentalement pour cela! Ce mec est une machine ! (Rires) C’est un hommage à notre musique, c’est très visuel, nous avons pris du temps pour faire ces morceaux et nous espérons que les gens apprécieront notre approche personnelle. Nous parlons de nos origines respectives, de notre passion et de notre amour pour cette musique qui nous a tenus à l’écart des conneries de la rue. Tout est là à l’écran.
Siba: C’est un vrai bijou !

Vous avez une troisième vidéo tournée en ce moment par un autre Frenchy, Salim Hamzaoui?
Von: Oui, pour « Fake News », c’est vraiment dramatique ce que nous voyons dans les médias actuellement. C’est très puissant. J’espère que les jeunes regarderont notre vidéo et réfléchiront à notre aliénation. Les médias sont entrain de rendre la planète complètement folle. Parce que cette dérive est globale. Comment les gouvernements harcèlent les gens partout dans le monde.
Siba: Salim est un réalisateur Français originaire du Havre en Normandie. Il est jeune, 21 ans. Ça va être super intéressant de voir sa vision de notre chanson. J’ai hâte de découvrir, parce qu’il est très talentueux aussi. On risque d’être surpris !
Comment vous positionnez-vous par rapport à l’évolution de Rap Game ?
Kiambu: Vous entendez la même chanson six fois par jour à la radio. La cible, ce sont les adolescents. On ne vend pas d’armes et de drogue. Mais c’est ce qu’ils veulent entendre à la radio toute la journée. Nous avons commencé à construire la culture hip hop, nous avons des choses à dire sur l’évolution de cette culture de résistance qui a été complètement engloutie et diluée dans la société de la consommation de masse.
Von: Ils veulent jouer des chansons similaires, tout sonne pareil.
Kiambu: Oui, il faut parler des personnes tuées par balles, le trafic de drogue est à 90% du contenu des chansons rap qui sont actuellement à la radio aux Etats-Unis…
C’est pourquoi la machine …
Von: A gagné… Le hip hop ne devrait pas être ça, c’est triste. Tout doit être standard, comme dans l’armée. Interchangeables. C’est la production de masse.
Siba: la première chanson que nous avons enregistrée pour cet album s’intitule « Can You Resist »
Kiambu: Le hip hop n’appartient plus au peuple. C’est pour ça qu’il faut s’éloigner des radios. Cela se produit organiquement. Les industriels essaient de contrôler tout cela. Mais la vie ne peut pas être contrôlée par les marchands, il y a quelque chose de naturel qui résiste à cette exploitation.
Le Hip Hop a vu sa facette politique disparaître à la fin des années 90. Mais heureusement, des groupes continuent à passer le message comme The Roots, Mos Def, Common, Kendrick Lamar, J-Cole, etc. L’industrie du disque a mis de côté les groupes qui étaient des leaders pour la jeunesse américaine.
L’industrie se contrefout de la conscience politique de Public Enemy ou KRS One. Il serait trop dangereux même de propager des messages de conscience dans les ghettos, des points de vue différents sur le rêve américain.
Nous sommes de retour au micro, nous reprenons le flambeau de cette culture. On n’est pas là pour la gloire ou l’argent. Nous avons dû dire sans filtre ce qui se passe dans ce putain de pays et ce qui est fort avec le clip de Nicolas Milteau, c’est que nous détournons la propagande de Fox News, nous renversons notre regard et nous créons une nouvelle culture, la nôtre.
